Les principaux apports de l’ordonnance du 24 avril 2019 relative à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées

L’article 17 de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire (dite loi EGalim) du 30 octobre 2018 autorisait le Gouvernement à opérer, par voie d’ordonnance, une refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et à d’autres pratiques prohibées. C’est désormais chose faite avec la publication de l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019.

L’objectif poursuivi par le législateur est de permettre une meilleure intelligibilité et davantage de transparence et de sécurité juridique s’agissant des règles applicables en matière de relations commerciales et de pratiques restrictives de concurrence ou prohibées.

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L’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 vient clarifier et modifier des dispositions importantes de la vie des affaires que nous aborderons sous l’angle de trois thèmes principaux, en suivant le nouveau plan adopté dans le Code de commerce : la transparence dans la négociation et les relations commerciales (1)[1] ; la facturation et les délais de paiement (2)[2] ; la réorganisation du droit des pratiques restrictives de concurrence (3)[3].

Seules les principales modifications sont abordées ci-après.

1/ Vers plus de transparence dans la négociation et les relations commerciales

a. La création d’un article dédié aux conditions générales de vente

Antérieurement réparties dans divers articles du Code de commerce, les règles applicables aux conditions générales de vente (ci-après « CGV ») sont désormais rassemblées au sein de l’article L. 441-1 qui leur est dédiéCes règles s’articulent autour de quatre points majeurs : (i) le contenu des CGV, (ii) l’obligation de les communiquer, (iii) leur fonction de « socle de la négociation commerciale », et (iv) la sanction en cas de défaut de communication.

  • Le contenu des CGV : Les conditions de vente ne plus figurent expressément parmi les mentions obligatoires des CGV. Seuls les éléments de détermination du prix tels que les barèmes des prix unitaires, les conditions de règlement, et les éventuelles réductions sont repris par le nouvel article L441-1 I du Code de commerce même si cette liste n’est pas exhaustive.
  • L’obligation de communication des CGV : Elle s’impose désormais à « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services » qui établit des CGV dès lors qu’un acheteur en fait la demande pour une activité professionnelle. Les CGV doivent être désormais communiquées par tout moyen constituant « un support durable ».
  • Les CGV, dès lors qu’elles sont établies, restent, comme auparavant, le « socle unique de la négociation commerciale ».
  • La sanction : L’amende civile est remplacée par une amende administrative dont le montant ne peut excéder 15.000 euros pour les personnes physiques et 75.000 euros pour les personnes morales. Cette modification permet de renforcer l’efficacité de la sanction du défaut de communication des CGV, puisque celle-ci pourra être prononcée par une autorité administrative compétente sans qu’il soit nécessaire de saisir les juridictions judiciaires.

b. Le nouveau régime des conventions uniques

La convention unique formalise le résultat de la négociation entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services.

Les articles L. 441-7 et L. 441-7-1 anciens du Code de commerce prévoyaient auparavant un régime général applicable aux conventions conclues entre un fournisseur et un distributeur et un régime allégé applicable aux conventions conclues entre un fournisseur et un grossiste.

Les articles L. 441-3 à L. 441-7 nouveaux du Code de commerce issus de l’ordonnance instaurent deux régimes de formalisation des relations commerciales entre fournisseur et distributeur :

  • Un régime général pour les conventions établies entre un fournisseur et tout distributeur ou prestataire de services (y compris le grossiste).
  • Le contenu obligatoire de la convention est similaire à celui antérieurement prévu pour les conventions entre fournisseurs et grossistes. Il doit donc porter sur :
  • Les conditions de l’opération de vente des produits ou des prestations de services (lesquelles incluent notamment les réductions de prix) ;
  • Les services de coopération commerciale (lesquels sont rendus par le distributeur ou le prestataire lors de la revente de produits ou services) ;
  • Les autres obligations (lesquelles sont exécutées par le distributeur ou le prestataire afin de favoriser leur relation commerciale avec le fournisseur).
  • Sont supprimés par l’ordonnance les mentions suivantes :
  • Le barème de prix ayant servi de base à la négociation ou les modalités de consultations de ce barème.
  • Le délai de trois mois qui était imposé au fournisseur pour communiquer ses CGV avant la date butoir du 1er mars est remplacé par « un délai raisonnable » avant le 1er mars. De même pour les produits ou services soumis à un cycle de commercialisation particulier, les CGV doivent être communiqués « avant le point de départ de la période de commercialisation »[4] et non plus deux mois avant celui-ci.
  • Une nouvelle définition du « prix convenu » est instituée[5] et intègre désormais la rémunération relative aux services de coopération commerciale, en sus du prix issu des conditions de l’opération de vente des produits ou prestations de services et des rémunérations afférentes aux autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur.
  • Un régime spécifique aux conventions portant sur des produits de grande consommation (PGC) à savoir, des « produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation » dont la liste sera fixée par décret. Il est à noter que les grossistes sont expressément exclus du champ d’application de ce régime.
  • Doivent notamment figurer dans la convention, outre les mentions prévues par le régime général (cf. ci-avant) :
  • Le barème des prix unitaires communiqué par le fournisseur ou les modalités de consultations de ce barème dans la version ayant servi de base à la négociation ;
  • Le chiffre d’affaires prévisionnel et les modalités de révision de ce dernier pour les conventions conclues pour deux ou trois ans. Ces mentions constituent, avec l’ensemble des obligations fixées par la convention, le plan d’affaires de la relation commerciale.
  • Le fournisseur reste ici tenu de communiquer ses CGV au minimum trois mois avant le 1er mars, ou deux mois avant le point de départ de la période de commercialisation pour les produits ou services soumis à un cycle de commercialisation particulier[6].
  • L’ordonnance précise également que tout avenant à la convention doit faire l’objet d’un écrit qui doit mentionner l’élément nouveau le justifiant[7]. Cette obligation est applicable à toute convention en cours au 26 avril 2019.

Hormis le cas des avenants, le nouveau régime des conventions entrera en vigueur au 1er mars 2020 pour les conventions en cours d’exécution au 26 avril 2019 dont la durée est supérieure à un an[8].

2/ Les nouvelles dispositions en matière de facturation et de délais de paiement

  1. S’agissant des règles de facturation

L’ordonnance harmonise les règles du Code de commerce avec celles du Code général des impôts. L’une des principales nouveautés[9] est l’ajout de deux mentions obligatoires, à savoir :

  • L’adresse de facturation de l’acheteur et du vendeur (si celle-ci est différente de leur adresse respective), et
  • Le numéro du bon de commande lorsque celui-ci a été préalablement établi.

Ces règles entreront en vigueur à compter du 1er octobre 2019.

Toujours par souci de célérité et d’efficacité des sanctions, en cas de manquement aux règles de facturation, l’amende pénale est remplacée par une amende administrative (75.000 euros pour la personne physique et 375.000 euros pour la personne morale).

  • S’agissant des délais de paiement,

L’ordonnance n’opère pas de modification de fond mais apporte de la clarté en réorganisant les textes. Les dispositions relatives aux délais de paiement figurent désormais aux articles L. 441-10 à L. 441-16 nouveaux du Code de commerce.

3/ La réorganisation du droit des pratiques restrictives de concurrence

En matière de pratiques restrictives de concurrence, l’ordonnance du 24 avril 2019 opère une véritable refonte du régime applicable.

  1. La suppression de pratiques restrictives de concurrence

L’article L. 442-6 I ancien du Code du commerce qui listait treize pratiques restrictives de concurrence est remplacé par l’article L. 442-1 désormais organisé autour de trois pratiques :

  • Le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ;
  • Le fait de soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
  • La rupture brutale de relation commerciale établie.

Les autres pratiques restrictives de concurrence ont été supprimées, à l’exception des dispositions relatives à la violation de l’interdiction de revente hors réseau qui font désormais l’objet d’un nouvel article L. 442-2 spécifique[10]. Elles ne deviennent pas pour autant licites et pourront être sanctionnées sur le fondement des pratiques restant en vigueur.

En outre, le champ d’application du texte est élargi puisqu’il définit désormais l’auteur de la pratique comme « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services », ce qui inclut les non commerçants. Dans le même sens, la victime est désormais désignée comme « l’autre partie » et non plus comme le « partenaire commercial ».

  • S’agissant spécifiquement de la rupture brutale de relation commerciale établie

L’article L. 442-6 I 5° ancien a en grande partie été repris à l’article L. 442-1 I du Code de commerce. Est donc toujours sanctionné le fait de ne pas respecter un « préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ».

Une modification notable apportée par l’ordonnance du 24 avril 2019 mérite d’être soulignée. En effet, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut plus être engagée, au motif d’une durée de préavis insuffisante, dès lors qu’un préavis de dix-huit mois a été respecté[11].

En outre, est supprimé le doublement de la durée du préavis dans le cas d’une rupture de relation commerciale portant sur des produits sous marque de distributeur, ou résultant d’une mise en concurrence par enchères à distance.

  • S’agissant des contrats ou clauses nuls de plein droit

Par souci de simplification, deux clauses interdites sur les cinq listées antérieurement sont maintenues dans l’article L. 442-3 nouveau du Code de commerce.

Sont par conséquent nulles les clauses qui prévoient la possibilité de bénéficier :

  • rétroactivement de remises, de ristournes ou d’accords de coopération commerciale, et/ou
  • automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant.
  • S’agissant des sanctions

L’ordonnance du 24 avril 2019 précise plus clairement que le plafond de l’amende civile correspond au plus élevé des trois montants suivants[12] :

  • Cinq millions d’euros, ou
  • Le triple du montant des avantages indûment perçus ou obtenus, ou
  • 5% du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques en cause lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre.

[1] Code de commerce, Livre IV, Titre IV, Chapitre Ier, Sections 1 et 2

[2] Code de commerce, Livre IV, Titre IV, Chapitre Ier, Section 3

[3] Code de commerce, Livre IV, Titre IV, Chapitre II, Sections 1 et 2

[4] Article L. 441-3 V nouveau du Code de commerce

[5] Article L. 441-3 III nouveau du Code de commerce

[6] Article L. 441-4 VI nouveau du Code de commerce

[7] Article L. 441-3 II nouveau du Code de commerce

[8] Article 5, I et II de l’ordonnance du 24 avril 2019

[9] Article L. 441-9 nouveau du Code de commerce

[10] « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de participer directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence »

[11] Article L. 442-1 II alinéa 2 nouveau du Code de commerce

[12] Article L. 442-4 I nouveau du Code de commerce

Stéphanie Yavordios

Mai 2019