Rupture brutale de relation commerciale établie : La chambre commerciale de la cour de cassation réaffirme la nature délictuelle de cette responsabilité et se positionne quant à la détermination des juridictions compétentes

Après avoir affirmé à plusieurs reprises la nature délictuelle de l’action en responsabilité pour rupture de relations commerciales établies, la Chambre commerciale de la Cour de cassation complète son raisonnement en se prononçant sur la question connexe de la détermination des juridictions compétentes.


La Chambre commerciale de la Cour de cassation a déjà affirmé à plusieurs reprises que la responsabilité pour rupture de relations commerciales établies[1] est de nature délictuelle, et ce, que la relation commerciale soit composée d’une succession de contrats[2] ou qu’elle se réduise à un seul contrat rompu en cours d’exécution[3], et que le litige[4] soit interne ou international[5].

La Chambre commerciale considère, en effet, que si la relation commerciale est formée par un contrat ou une succession de contrats, la rupture de cette relation ne relève pas de la matière contractuelle, son caractère brutal l’ayant fait sortir du champ des prévisions des parties et retomber dans le champ de la matière délictuelle.

Dans le prolongement de cette jurisprudence, la Chambre commerciale s’est prononcée sur la question connexe de la compétence des juridictions dans le cadre d’un litige introduit sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5e du Code de commerce.

1. A l’occasion d’un litige international, la Chambre commerciale a, par arrêt du 15 septembre 2009, affirmé la compétence de principe de la juridiction du lieu de survenance du fait dommageable.

Dans cette espèce, une société de droit allemand avait mis un terme à sa relation commerciale ancienne de dix ans avec son fournisseur, une société de droit français, laquelle avait alors agi sur le terrain de l’article L. 442-6, I, 5e du Code de commerce devant le Tribunal de Commerce de Paris.

L’auteur de la rupture soutenait l’incompétence de la juridiction parisienne, sur le fondement de l’article 2 du Règlement communautaire 44/2001[6], applicable en l’espèce, aux termes duquel les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, en principe, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

La société française se prévalait, pour soutenir la compétence des juridictions françaises, plus particulièrement parisiennes, des dispositions de l’article 5.3 dudit Règlement, selon lesquelles une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre « en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».

Les juges du fond avaient jugé que les tribunaux français étaient incompétents, le litige étant de nature contractuelle.

Réaffirmant le caractère délictuel de la responsabilité pour rupture de relations commerciales établies, la Chambre commerciale a logiquement déclaré compétente la juridiction consulaire parisienne désignée suivant les dispositions de l’article 5.3 du Règlement n°44/2001 du 22 décembre 2000 précité applicable en matière de responsabilité délictuelle.

2. La Chambre commerciale a poursuivi son raisonnement par deux arrêts rendus les 13 octobre 2009 et 9 mars 2010, par lesquels elle a, après avoir à nouveau rappelé la nature délictuelle dela responsabilité de l’auteur de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, écarté l’application d’une clause attributive de compétence prévue par le contrat rompu et déclarées compétentes les juridictions désignées en matière délictuelle.

Dans la première espèce, la victime de la rupture des relations commerciales établies avait assigné l’auteur de la rupture devant le Tribunal de Commerce de Compiègne.

L’auteur de la rupture a soulevé l’incompétence du Tribunal de commerce de Compiègne au profit de celui de Paris en se prévalant de la clause du contrat qui stipulait qu’« il est fait attribution de compétence aux tribunaux de PARIS pour toutes instances et procédures relatives à l’interprétation et à l’exécution du présent statut et du mandat ci-annexé ».

Au visa notamment des articles 42 et 46 du Code de procédure civile relatifs à la compétence territoriale de droit commun, la Chambre commerciale a cassé l’arrêt de la Cour d’appel d’Amiens qui avait déclaré incompétent le Tribunal de commerce de Compiègne.

Dans la seconde espèce, la victime de la rupture avait assigné l’auteur devant le Tribunal de commerce de Vannes. L’auteur de la rupture a soulevé l’incompétence de ce dernier au motif que la clause du contrat prévoyait que « tout différend et/ou litige relatif à la formation, l’interprétation, l’exécution, la résiliation ou la cessation du contrat sera de la compétence exclusive du tribunal de commerce d’Orléans, qu’il s’agisse d’une demande principale, d’un appel en garantie ou en intervention forcée, d’une assignation en référé, et ce, même en cas de pluralité de défendeurs ».

La Chambre commerciale a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes qui avait déclaré compétent le Tribunal de commerce de Vannes.

Toutefois, il est important de noter que dans les deux espèces, la rupture de la relation commerciale en tant que telle n’était pas envisagée.

En réalité, la Chambre Commerciale de la Cour de cassation semble avoir recherché l’intention exacte des parties à la lumière de la rédaction de la clause, et avoir ainsi voulu attirer l’attention du rédacteur de la clause sur l’importance de la précision des termes employés.

En effet, dans son arrêt du 9 mars 2010, la Cour de cassation a laissé entendre qu’une clause attributive de juridiction pouvait s’appliquer en matière de responsabilité délictuelle, fut-ce dans un litige purement interne, mais que dès lors que la clause ne visait pas expressément la rupture de la relation commerciale, elle ne pouvait trouver application.

Il semblerait donc que ce soit la comparaison de la rédaction de la clause qui explique la divergence de jurisprudence entre la Chambre Commerciale et la Première Chambre Civile de la Cour de cassation, cette dernière ayant, par le passé, admis l’application d’une clause attributive de juridiction en cas de rupture brutale d’une relation commerciale établie[7],dans une espèce où la clause insérée dans les conditions visait tout litige découlant des relations contractuelles.

En tout état de cause, il convient de concilier la jurisprudence précitée de la Chambre commerciale, ayant affirmé le caractère délictuel de la responsabilité pour rupture de relations commerciales établies et statué sur la question connexe des juridictions compétentes, avec les dispositions de l’article L. 442-6, III, alinéa 5 du Code de commerce, lequel prévoit désormais, dans sa nouvelle rédaction issue de la Loi de Modernisation de l’Economie du 4 août 2008, que les contentieux pour rupture brutale de relations commerciales établies sont réservés à certaines juridictions : « les litiges relatifs à l’application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret [8]».


[1] Article L. 442-6, I, 5e du Code de commerce

[2] Cass. com., 6 févr. 2007 : JurisData n° 2007-037247 ; Bull. civ. 2007, IV, n° 21

[3] Cass. com., 13 janv. 2009, n° 08-13.971 : JurisData n° 2009-046541 ; Bull. civ. 2009, IV, n° 3

[4] Cass. com., 6 févr. 2007, précité

[5] Cass. com., 21 oct. 2008, n° 07-12.336 : JurisData n° 2008-045498 

[6] Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ; Journal officiel n° L 012 du 16/01/2001 p. 0001 – 0023

[7] Cass. 1re civ., 6 mars 2007, n° 06-10.946 : Bull. civ. 2007, I, n° 93. – Cass. com., 21 mars 2000 : Rev. crit. DIP 2000, p. 792, note A. Sinay-Cytermann

[8] Cf. article D. 442-3 du Code de commerce

Stéphanie Yavordios

Juillet 2010