Par arrêt du 8 juillet 2010, la Première Chambre Civile de la Cour de cassation a déclaré applicable la clause compromissoire figurant dans un contrat de distribution international et écarté la compétence des juridictions françaises saisies conformément aux règles de compétence délictuelle, par la victime française d’une rupture brutale de ses relations commerciales à l’initiative de son cocontractant suédois.
Cette décision s’inscrit dans le débat jurisprudentiel autour de la nature de l’action en responsabilité sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5e du Code de commerce auquel se livrent la Première Chambre Civile et la Chambre Commerciale de la Haute Juridiction.
Selon un principe jurisprudentiel établi par la Chambre Commerciale de la Cour de cassation, est de nature délictuelle la responsabilité de l’auteur d’une rupture de relations commerciales établies.[1]
Dans le prolongement de cette jurisprudence, la Chambre Commerciale de la Cour de cassation a affirmé la compétence de la juridiction du lieu de survenance du fait dommageable conformément aux règles de compétence délictuelle internes ou communautaires[2], et en conséquence, écarté l’application d’une clause attributive de compétence[3].
Hostile à cette jurisprudence, la Première Chambre Civile de la Haute Juridiction semble cependant privilégier la thèse contractuelle en présence d’une action en responsabilité sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5e du Code de commerce.
Ainsi a-t-elle déjà déclaré applicable une clause d’arbitrage figurant dans un contrat de distribution international, au motif que seule une nullité ou une applicabilité manifeste de cette dernière pourrait faire obstacle à la compétence prioritaire de l’arbitre, et déclaré incompétent le tribunal de commerce saisi par la victime française de la rupture[4].
De même, la Première Chambre Civile a fait prévaloir les dispositions de clauses attributives de compétence figurant dans des contrats de distribution internationaux et en conséquence, déclaré incompétentes les juridictions françaises désignées selon les règles de compétence en matière délictuelle[5].
Dans l’arrêt commenté, la Première Chambre Civile de la Cour de cassation poursuit son raisonnement en faisant à nouveau prévaloir les dispositions d’une clause compromissoire figurant dans un contrat de distribution international, sur les règles de compétence en matière délictuelle.[6]
Au cas d’espèce, une société suédoise a résilié le contrat de distribution qui la liait à une société française. Le contrat contenait une clause compromissoire. La société française a cependant assigné la société suédoise devant un tribunal de commerce en paiement de dommages et intérêts pour rupture brutale du contrat sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5e du Code de commerce.
La Cour d’appel a écarté la compétence des juridictions françaises.
La société française a alors porté l’affaire devant la Cour de Cassation aux moyens que, d’une part, l’application d’une loi de police était en cause et, d’autre part, la méconnaissance par une partie au contrat d’une obligation légale était en elle-même sans lien avec le contrat, de sorte que la clause compromissoire qu’il contenait était manifestement inapplicable au litige.
Confirmant l’arrêt d’appel, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la société française au motif qu’une « clause compromissoire visant tout litige ou différend né du contrat ou en relation avec celui-ci n’est pas manifestement inapplicable, dès lors que la demande de la [demanderesse] présentait un lien avec le contrat puisqu’elle se rapportait notamment aux conditions dans lesquelles il y a été mis fin et aux conséquences en ayant résulté pour la [demanderesse], peu important que des dispositions d’ordre public régissent le fond du litige dès lors que le recours à l’arbitrage n’est pas exclu du seul fait que des dispositions impératives, fussent-elles constitutives d’une loi de police, sont applicables ».
Cet arrêt est important à deux égards.
D’une part, il poursuit le débat sur la nature délictuelle ou contractuelle de l’action engagée sur le terrain de l’article L. 442-6, I, 5e du Code de commerce auquel se livrent la Chambre Commerciale et la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation en présence d’une clause compromissoire ou attributive de compétence.
La thèse délictuelle de la Chambre Commerciale a l’avantage de faciliter l’action en justice pour le demandeur qui serait plus faible économiquement, puisqu’en application des règles nationales et communautaires applicables en matière délictuelle, c’est la juridiction du lieu du fait dommageable, et donc le plus souvent le lieu du domicile ou du siège social du demandeur, qui est compétent[7].
Toutefois, il est important de relever que dans les deux arrêts précités à l’occasion desquels la Chambre Commerciale a écarté l’application des clauses attributives de compétence, la rupture de la relation commerciale en tant que telle n’était pas envisagée par ces dernières[8].
La Chambre Commerciale semble avoir avant tout recherché l’intention exacte des parties à la lumière de la rédaction de la clause attributive de compétence et en conséquence, refusé de faire application de cette dernière en l’absence de toute référence à la rupture de la relation commerciale.
Quelle que soit sa formation, la Haute Juridiction alerte à nouveau les rédacteurs des clauses compromissoires et attributives de compétence sur l’importance et la précision qu’il convient d’apporter à leur rédaction.
D’autre part, bien qu’elle fasse prévaloir l’intention des parties, la Première Chambre Civile profite de cet arrêt pour reconnaître implicitement le caractère de loi de police aux dispositions de l’article L. 442-6 du Code de commerce dans les relations internationales.
En
toute hypothèse, l’alinéa 5 du III de l’article L. 442-6 du Code de commerce
modifié par la Loi de Modernisation de l’Economie du 4 août 2008 prévoit
désormais que les litiges relatifs à l’application de cet article sont
attribués exclusivement à huit juridictions dont le siège et le ressort sont
fixés par un Décret[9].
[1] Cass. Com., 6 février 2007, n°04-13.178; Cass. Com., 13 janvier 2009, n° 08-13.971; Cass. Com., 21 octobre 2008, n° 07-12.336
[2] Cass. Com., 15 septembre 2009, n°07-10.493, voir E-newsletter Juillet-Août 2010
[3] Cass. Com., 13 octobre 2009, n°08-20.411 ; Cass. Com., 9 mars 2010, n°09-10.216, voir E-newsletter Juillet-Août 2010
[4] Cass. Civ 1e, 12 novembre 2009, n°09-10575
[5] Cass. Civ. 1e, 6 mars 2007, n° 06-10.946 ; Cass. Civ. 1e, 22 octobre 2008, n°07-15.823
[6] Cass. Com., 8 juillet 2010, n°09-67.013
[7] Article 46 du Code de procédure civile ; Article 5 du Règlement Communautaire 44/2001 du 22 décembre 2000
[8]Cass. Com, 13 octobre 2010 et 9 mars 2010, ibid
[9] Décret n°2009-1384 du 11 novembre 2009 (article 2) codifié à l’article D. 442-3 du Code de Commerce, lequel renvoie à l’annexe 4-2-1 du même code. Aux termes de cette annexe, sont exclusivement compétents pour connaître des litiges fondés sur l’article L. 442-6 du même code les Tribunaux de Commerce de Marseille, Bordeaux, Lille, Fort-de-France, Lyon, Nancy, Paris et Rennes.
Par ailleurs, la Cour d’appel de Paris est dorénavant seule compétente pour connaître des appels interjetés à l’encontre de décisions rendues sur le terrain de l’article L. 442-6 du Code de commerce par l’une des juridictions précitées.