Par arrêt du 15 mai 2012, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé qu’une clause de non-concurrence litigieuse, dès lors qu’il est concrètement établi que l’étendue de cette clause ne se limite pas au territoire, à la clientèle et aux produits ou services confiés à l’agent, et n’est pas nécessaire à la protection des intérêts du mandant.
Selon l’article L.134-14 du Code de commerce, une clause de non concurrence stipulée dans un contrat d’agent commercial doit, pour être valable, être convenue pour une période maximale de deux ans et concerner le secteur géographique et, le cas échéant, la clientèle confiée à l’agent, ainsi que le type de produits ou services qu’il est chargé de représenter.
Sur la base de l’article L. 134-14 précité, la Haute Juridiction, à l’occasion de litiges relatifs à la validité d’une clause de non-concurrence insérée dans un contrat d’agent commercial, a été amenée à préciser les conditions d’appréciation du respect du critère de proportionnalité de ladite clause.
Dans un arrêt du 4 juin 2002( Cass. Com., 4 juin 2002, n°00-14.688 ), la Haute Juridiction a d’abord souligné la nécessité d’apprécier in concreto le caractère proportionné ou disproportionné d’une clause de non-concurrence insérée dans un contrat d’agent commercial.
Dans cette espèce, les juges du fond avaient annulé une clause de non-concurrence stipulée dans plusieurs contrats d’agent commercial, après avoir relevé que chacun des agents, qui se voyait privé d’un secteur composé d’une cinquantaine de départements éclatés sur le territoire national, était ainsi empêché d’organiser une tournée de clientèle rentable et dans l’impossibilité matérielle et totale de travailler après la rupture du contrat. La Chambre commerciale avait alors cassé cette décision, estimant que les juges du fond ne s’étaient déterminés que par référence à l’étendue territoriale de la clause, sans constater que celle-ci ne se limitait pas au secteur géographique et au type de biens ou services pour lesquels le contrat d’agent avait été conclu et qu’elle n’était donc pas nécessaire à la protection des
intérêts du mandant, ni vérifier concrètement si cette clause avait pour effet d’empêcher les anciens agents d’exercer toute activité professionnelle.
La décision commentée de la même juridiction du 15 mai 2012( Cass. Com., 15 mai 2012, n°11-18.330 ) donne cette fois-ci, un exemple d’appréciation in concreto du critère de proportionnalité ayant abouti à l’annulation d’une clause de non-concurrence.
En l’espèce, le mandant, une société qui commercialisait des produits amaigrissants, avait confié à son agent commercial la distribution de ses produits auprès d’une clientèle de particuliers.
Le contrat d’agent prévoyait que l’agent était libre de définir son secteur géographique sur le territoire français. Aucune exclusivité ne lui avait été conférée par le mandant.
Le contrat contenait également une clause de non concurrence interdisant à l’agent, pendant deux ans après la rupture du contrat, d’entreprendre sur le territoire national toute activité relative à la commercialisation ou à la fabrication de produits concurrents, ou de s’intéresser en quelque qualité que ce soit à une entreprise quelconque susceptible de concurrencer les activités du mandant.
Estimant que cette clause de non-concurrence portait atteinte à sa liberté du commerce et de l’industrie, l’agent a saisi la juridiction commerciale aux fins de faire annuler cette clause.
Les juges du fond( CA Rennes,15 Février 2011, n° 64, 09/08191 ) ont constaté que la clause litigieuse, en étant limitée à deux ans, en portant sur la commercialisation de produits diététiques susceptibles de concurrencer ceux distribués par le mandant et en s’appliquant sur l’ensemble du territoire national, respectait les conditions de durée et de corrélation avec les produits représentés, énoncées par l’article L.134-14.
Ils ont, en revanche, constaté que la clause de non concurrence n’était pas limitée à l’exercice d’une activité auprès de la clientèle qui était contractuellement confiée à l’agent commercial.
En effet, le contrat confiait à l’agent le mandat de visiter une clientèle composée exclusivement de particuliers.
Or, selon les juges du fond, aux termes de la clause litigieuse, l’agent devait s’interdire de s’intéresser en quelque qualité que ce soit à une entreprise quelconque susceptible de concurrencer les activités de mandant et, plus généralement, devait renoncer à toute activité relative à la commercialisation et à la fabrication de produits susceptibles de concurrencer ceux distribués par son mandant.
Dès lors, l’application de cette clause revenait à interdire à l’agent toute activité, salariée ou non, liée à la distribution de produits diététiques, y compris auprès de prescripteurs, d’intermédiaires ou de distributeurs, ainsi que toute activité en lien avec la fabrication de ces produits, dans la France entière, sans qu’il n’y ait de corrélation entre la clientèle contractuelle et l’étendue de son engagement de non-concurrence.
Selon la Cour d’appel, en application de cette clause, l’agent, qui disposait également d’une formation et d’une expérience professionnelle de déléguée médicale, se voyait ainsi privé de la possibilité d’exercer cette activité pendant deux ans en cas de rupture du contrat d’agent.
Sur la base de ces constatations, les juges du fond ont considéré que l’étendue de la clause de non-concurrence n’était pas nécessaire à la protection des intérêts du mandant, ce dernier n’exerçant qu’une activité de vente directe aux particuliers. Ils ont annulé la clause litigieuse.
Devant la Haute Juridiction, le mandant a fait valoir qu’ainsi que cela ressortait expressément de la clause de non-concurrence et du contrat d’agent, ses produits étaient commercialisés exclusivement auprès des particuliers, de sorte que les entreprises et produits concurrents visés par la clause concernaient les seuls particuliers, clientèle exclusive du mandant et de l’agent.
Selon le mandant, la Cour d’appel s’était donc livrée à une interprétation erronée de la clause, en considérant que celle-ci, en interdisant à l’agent d’exercer toute activité liée à la distribution de produits diététiques, notamment auprès de prescripteurs, d’intermédiaires ou de distributeurs, et plus généralement, toute activité en lien avec la fabrication de ces produits, était sans corrélation avec la clientèle confiée.
Le mandant soutenait au contraire que la clientèle de particuliers était la seule à l’égard de laquelle l’agent était susceptible de concurrencer le mandant et constituait donc la limite de l’obligation de non-concurrence.
Argument rejeté par la Chambre commerciale.
En effet, la Haute Juridiction a considéré que les juges du fond avaient, par une interprétation souveraine de la clause rendue nécessaire par l’ambiguïté de ses termes, estimé que ladite clause interdisait concrètement à l’agent la distribution de produits diététiques, y compris auprès de prescripteurs, d’intermédiaires ou de distributeurs, et plus généralement, de toute activité liée à la distribution de ces produits.
En conséquence, la Cour de cassation a confirmé la décision d’appel ayant annulé la clause litigieuse, après avoir constaté l’absence de corrélation entre la clientèle contractuellement confiée à l’agent et l’engagement de non-concurrence, et estimé que l’étendue de celui-ci n’était pas nécessaire à la protection des intérêts du mandant qui n’exerçait qu’une activité de vente directe aux particuliers.
A noter qu’au cas d’espèce, la clause de non-concurrence était rédigée en des termes ambigus, ce qui a amené les juges du fond à se livrer à une interprétation souveraine de son champ d’application afin d’en apprécier in concreto son caractère proportionné ou non. C’est d’ailleurs également au visa de ce pouvoir souverain d’interprétation que la Cour de cassation a confirmé la décision d’appel ayant annulé la clause litigieuse.
Cet arrêt rappelle donc au passage l’intérêt du rédacteur d’une clause de non-concurrence à délimiter expressément et précisément l’étendue de cette clause, afin d’éviter toute interprétation pouvant conduire à son annulation en raison de son caractère disproportionné.