L’inobservation par le concédant du délai de préavis de résiliation des contrats fondée sur la nécessité de réorganiser le réseau n’affecte pas la régularité de la résiliation

Par trois arrêts rendus le 5 septembre 2012, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a admis la validité d’un délai abrégé de résiliation de contrats de concession observé par un fournisseur, au motif de la nécessite de réorganisation rapide du réseau de distribution de ce dernier.

Conformément au Règlement (CE) n°1400/2002 du 31 juillet 2002 concernant l’application de l’article 81 paragraphe 3 du Traité CE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, un accord conclu pour une durée indéterminée doit prévoir un délai de résiliation d’au moins deux ans pour les deux parties, ou bien d’un an sous réserve du versement d’une indemnité approprié ou de la nécessité de réorganiser le réseau.

Invoquant la nécessité de restructurer son réseau de distribution à la suite de l’entrée en vigueur du Règlement (CE) n°1400/2002, et ce, avant le 1er octobre 2003, date limite imposée par ledit Règlement, la société DAF TRUCKS France avait, par trois lettres datées du 16 juin 2003, résilié avec préavis abrégé d’un an, trois contrats à durée indéterminée de concession exclusive conclus avec trois de ses concessionnaires.

La nécessité d’une réorganisation rapide de son réseau de distribution par la société DAF TRUCKS France résultait, selon celle-ci, de la date limite du 1er octobre 2002 imposée par le Règlement (CE) 1400/2002 pour la mise en conformité des contrats de distribution avec ledit Règlement.

Les trois concessionnaires estimant la résiliation de leurs contrats respectifs irrégulière du fait du bref délai de préavis, ont assigné la société DAF TRUCKS France en annulation de la résiliation et en indemnisation de leur préjudice.

Les trois concessionnaires faisaient valoir que le seul fait que la société DAF TRUCKS France ait agi avec retard en ne résiliant les contrats de concession que le 16 juin 2003, soit quatre mois seulement avant la date limite imposée par le Règlement (CE) n°1400/2002, ne constituait pas une nécessité objective d’une réorganisation rapide de son réseau justifiant l’utilisation du préavis dérogatoire d’un an.

La Cour d’appel de PARIS( CA Paris, 11 mai 2011, n°10/03073, n°10/03080, n°10/03078 ) avait cependant écarté l’argumentation des trois concessionnaires et admis la régularité des résiliations.

La Cour d’appel avait d’abord rappelé la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes, selon laquelle « la nécessité de réorganiser l’ensemble ou une partie substantielle d’un réseau de distribution, de nature à ouvrir au fournisseur le droit de résilier un accord moyennant un préavis d’un an, implique que cette résiliation se justifie de manière plausible par des motifs d’efficacité économique, fondés sur des circonstances objectives internes ou externes à l’entreprise du fournisseur qui, à défaut d’une réorganisation rapide du réseau, serait susceptible, compte tenu de l’environnement concurrentiel dans lequel opère ce fournisseur, de porter atteinte à l’efficacité des structures existantes de ce réseau ».

Les Juges du fond avaient également rappelé que pour apprécier la nécessité d’une réorganisation rapide du réseau, il convenait de tenir compte des éventuelles conséquences économiques défavorables que serait susceptible de subir un fournisseur dans l’hypothèse où ce dernier procéderait à une résiliation de l’accord de distribution avec un préavis de deux ans, au lieu du préavis abrégé d’un an.

Par trois arrêts distincts du 5 septembre 2012, la Chambre Commerciale de la Cour de cassation rejette les pourvois formés contre les arrêts d’appel, et approuve l’analyse des Juges du fond dont les motifs sont repris ci-après.

La Cour de cassation a tout d’abord confirmé que le délai de mise en conformité de quatorze mois était très bref eu égard à l’ampleur des modifications juridiques et économiques résultant de la mise en œuvre du Règlement (CE), et que, bien que la société DAF TRUCKS France ait agi avec retard, l’obligation de mise en conformité et le risque de sanctions n’étaient pas pour autant supprimés.

La Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel en ce que celle-ci avait considéré que le retard de mise en conformité de la société DAF TRUCKS France rendait d’autant plus présent le risque de sanctions pour cette dernière et donc d’autant plus urgente la réorganisation de son réseau.

En outre, la Cour a relevé que la nécessité d’une réorganisation urgente du réseau résultait aussi du fait que les concurrents de la société DAF TRUCKS France avaient déjà réorganisé leur réseau et que le fait d’imposer à cette dernière de respecter un préavis de deux ans l’aurait maintenue dans un système plus rigide et économiquement moins favorable que celui dans lequel se trouvaient ses concurrents, ce qui aurait ainsi porté atteinte à l’efficacité des structures existantes de son réseau.

Enfin, la Haute Juridiction a retenu que le maintien des contrats de concession litigieux pendant une année supplémentaire aurait interdit la prospection personnalisée et nominative hors des territoires exclusifs concédés, ainsi qu’aux autres membres du réseau de vendre activement sur lesdits territoires, ce qui aurait eu pour effet de créer une distorsion dans le jeu de la concurrence et de porter atteinte à la cohérence et à l’efficacité de la réorganisation engagée par la société DAF TRUCKS France.

En conséquence, la Chambre Commerciale de la Cour de cassation, confirmant les Juges d’appel, a considéré qu’il résultait des constatations susvisées la nécessité d’une réorganisation rapide du réseau de distribution de la société DAF TRUCKS France, justifiant une résiliation des trois contrats de concession avec un préavis d’un an au lieu de deux ans.

Cette décision mérite d’être remarquée car les Juges du fond, puis la Cour de cassation, ont privilégié ici l’impératif économique du réseau de distribution face à l’obligation de préavis de résiliation des contrats de concession.

Stéphanie Yavordios

Octobre 2012