Le principe n’est pas nouveau mais mérite d’être rappelé : les manquements commis dans le cadre d’une relation contractuelle sont susceptibles d’engager la responsabilité de leur auteur à l’égard, non seulement, de son cocontractant, mais aussi des tiers.
C’est ce que réaffirme la Cour de cassation dans un arrêt du 20 octobre 2015 à l’occasion d’un litige relatif à une rupture abusive de contrat de concession exclusive.
L’analyse de cette décision s’avère intéressante, particulièrement du point de vue des tiers dont le préjudice issu de la rupture peut donner lieu à une indemnisation conséquente.
Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes. En vertu de cet effet relatif, les conventions n’ont, en principe, pour effet ni de nuire, ni de profiter aux tiers( Article 1165 du Code civil ).
Néanmoins, les conventions peuvent avoir pour conséquence de créer une situation de fait vis-à-vis des tiers dont découlent des conséquences juridiques.
Les tiers peuvent ainsi se voir imposer de respecter les relations contractuelles établies entre les parties( Cass. Civ. 1e, 20 avril 1982 : Bull. civ. I, n°139, p.123 ). Davantage, si le tiers a, en connaissance de cause, aidé l’un des cocontractants à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur lui, il est susceptible d’engager sa responsabilité délictuelle à l’égard du cocontractant victime( Cass. Civ. 1e, 26 janvier 1999 : Bull. civ. I, n°32, p. 21; Cass. Com., 11 octobre 1971 : D. 1972, 120 ).
Réciproquement, en vertu d’une jurisprudence désormais bien établie, un tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle( Article 1382 du Code civil ), un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage. Ce principe a été affirmé par la Cour de cassation, dans un arrêt d’Assemblée Plénière du 6 octobre 2006(Cass., Ass. Plén., 6 octobre 2006, 05-13.255). A cette occasion, les juges ont admis que le locataire-gérant d’un fonds de commerce exploité
dans des locaux loués dans le cadre d’un bail commercial, pouvait agir sur le terrain de la faute délictuelle à l’égard du bailleur, car quand bien même il n’était pas partie au bail, il subissait un dommage causé par les manquements contractuels du bailleur (en l’espèce le défaut d’entretien des locaux). Le locataire-gérant a ainsi pu obtenir la remise en état des lieux et le paiement d’une indemnité provisionnelle en réparation d’un préjudice d’exploitation.
Les juges ont, par la suite, fait application de ce principe de manière constante.
La Haute Juridiction a néanmoins précisé que les juges du fond devaient caractériser en quoi le manquement contractuel relevé par eux constituait une faute quasi délictuelle à l’égard du tiers et causait préjudice à celui-ci( Cass. Civ. 1e, 15 décembre 2011, n°10-17.691 ).
Les manquements contractuels à l’origine de l’action en indemnisation des tiers se manifestent souvent au stade de l’exécution du contrat. Ils peuvent toutefois apparaître également au moment de la résiliation du contrat par l’une des parties.
Ainsi, la Haute Juridiction a déjà admis que la société mère d’un concessionnaire victime d’une rupture abusive du contrat par le concédant, puisse se prévaloir d’une rupture abusive pour obtenir de ce dernier la réparation de son propre préjudice en ayant découlé( Cass. Com., 21 octobre 2008, n°07-18487 ).
L’arrêt commenté( Cass. Com., 20 octobre 2015, n°14-20540 ) donne une nouvelle illustration de résiliation fautive d’un contrat par une partie, ayant entrainé la condamnation de celle-ci à indemniser le préjudice en résultant pour un tiers.
En l’espèce, une société constituée par deux associés en vue de l’exploitation de salons de coiffure en Russie (la « Société exploitante »), avait conclu un contrat de concession exclusive de licence d’une marque de notoriété internationale (le « Contrat »). Puis l’un des associés (le « Promettant ») s’était engagé à acquérir les parts de son coassocié (le « Bénéficiaire ») pour le prix de 775.000 dollars. Le concédant de la licence de marque (le « Concédant ») avait ensuite résilié le Contrat, invoquant des manquements à l’égard de la Société exploitante. Cette dernière avait alors été placée en liquidation judiciaire. La promesse d’achat des parts conclue entre les deux associés n’avait alors pas été exécutée, puis avait été annulée judiciairement au motif que le consentement du Promettant avait été vicié en raison d’une erreur sur les qualités substantielles. Le Promettant soutenait en effet, qu’il n’aurait pas souscrit l’engagement d’acquérir les parts sociales auxquelles la résiliation du Contrat faisait perdre toute valeur s’il avait eu connaissance des faits reprochés par le Concédant à la Société exploitante. Quelques mois plus tard, le Concédant avait été déclaré responsable de la rupture du Contrat et condamné à payer des dommages-intérêts à l’organe de la procédure collective de la Société exploitante.
Le Bénéficiaire a alors assigné le Concédant en paiement de dommages-intérêts, faisant valoir que les fautes commises par ce dernier lui avaient causé un préjudice qui lui était propre.
En appel, le Concédant a été condamné à payer au Bénéficiaire la somme de 500.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation, après avoir rappelé le principe selon lequel « un tiers peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel si celui-ci lui cause un dommage », observe que le Bénéficiaire s’est trouvé dans l’impossibilité de faire exécuter l’engagement et de percevoir le prix de cession, la promesse d’achat ayant été annulée au regard des circonstances et motifs de la rupture du Contrat. La rupture ayant finalement été jugée abusive, la Cour en a déduit que le Concédant avait, par son comportement fautif, causé un préjudice distinct au Bénéficiaire.
Le Concédant reprochait par ailleurs à la Cour d’appel d’avoir fixé arbitrairement le préjudice à la somme de 500.000 euros sans rechercher la valeur des parts restant en la possession du Bénéficiaire. Le Concédant estimait que dans tous les cas, le préjudice de celui-ci ne pouvait être supérieur à la différence entre le prix convenu (775.000 dollars) et la valeur des parts. La Cour de cassation a néanmoins confirmé la décision des juges d’appel, estimant que ces derniers avaient souverainement apprécié le préjudice à la somme de 500.000 euros. Ainsi, cet arrêt confirme que la résiliation abusive d’un contrat peut, non seulement, engendrer des conséquences au-delà des relations entre les parties, mais de surcroît, se révéler très onéreuse pour l’auteur de la rupture fautive.