Portée de la clause attributive de juridiction dans une chaîne communautaire de contrats

En présence d’un litige civil ou commercial impliquant une chaîne communautaire de contrats, il convient de se référer au Règlement communautaire 44/2001 du 22 décembre 2000 (dit Règlement « Bruxelles 1 »)( Règlement (CE) n°44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ) pour l’application des règles de compétence juridictionnelle. Celles-ci sont énoncées au chapitre II du Règlement Bruxelles 1.

L’article 23 du chapitre II du Règlement Bruxelles 1 prévoit que si des parties à un contrat, dont l’une au moins à son domicile sur le territoire d’un Etat membre, sont convenues d’attribuer compétence à une juridiction d’un Etat membre pour trancher leurs différends contractuels, cette juridiction est dès lors exclusivement compétente, sauf convention contraire des parties. L’article 23 fait donc primer la clause attributive de juridiction sur les autres règles de compétence (notamment contractuelle et quasi délictuelle), dès lors que cette clause répond aux conditions de validité énoncées par ce même article.

Au cas d’espèce( Cass. Civ. 1e, 11 septembre 2013, n°09-12442 ), une société française avait fait exécuter des travaux de rénovation d’un ensemble immobilier situé en France. Dans le cadre de ces travaux, des unités de climatisation avaient été installées, chacune équipées d’une série de compresseurs. Ces derniers avaient été fabriqués par une société italienne, puis achetés à celle-ci et assemblés par une seconde société italienne, puis revendus à un distributeur français, lequel avait enfin revendu le tout à la société française en charge de la réalisation des travaux.

Des désordres étaient par la suite survenus dans le système de climatisation et une expertise judiciaire avait révélé que ces pannes provenaient d’un défaut de fabrication des compresseurs.

La compagnie d’assurance de la société française, subrogée dans les droits de cette dernière, avait assigné le fabricant italien, le monteur italien et le distributeur français devant le Tribunal de Grande Instance de Paris aux fins de les faire condamner in solidum au remboursement du préjudice subi.

Le fabricant avait alors soulevé l’incompétence du tribunal français, se prévalant d’une clause attributive de juridiction stipulée au profit des juridictions italiennes figurant au contrat passé entre elle et le monteur italien. Cette exception, ayant été rejetée, avait donné lieu à une procédure d’appel puis à un pourvoi en cassation.

Le fabricant italien faisait notamment valoir qu’une clause attributive de compétence, valable dans les rapports des parties au contrat initial, primait sur les règles de compétence contractuelles et quasi délictuelles prévues par le Règlement Bruxelles 1, et était opposable au tiers au contrat initial dès lors que, en vertu du droit national applicable, ce dernier succédait à l’une des parties originaires dans ses droits et obligations.

La Cour de cassation avait alors saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après « CJUE ») d’une question préjudicielle, lui demandant si une telle clause conclue dans une chaîne communautaire de contrats, en application de l’article 23 du Règlement Bruxelles 1, pouvait produire ses effets à l’égard du sous-acquéreur.

La CJUE a d’abord constaté que le Règlement Bruxelles 1 ne précisait pas si une telle clause pouvait être transmise, au-delà du cercle des parties du contrat initial, à un tiers, partie à un contrat ultérieur et successeur aux droits et obligations de l’une des parties du contrat initial( CJUE, 7 février 2013, C-543/10 ).

La CJUE a également rappelé qu’il incombait au juge national saisi d’examiner si une clause attribuant compétence à une juridiction avait effectivement été consentie par les parties, ceci étant l’un des objectifs poursuivis par le Règlement Bruxelles 1.

Elle a conclu qu’une clause attributive de juridiction ne pouvait produire ses effets que dans les rapports entre les parties ayant donné leur accord à la conclusion de ce contrat. Or, le fabricant et le sous-acquéreur n’étant pas unis par un lien contractuel, ils ne pouvaient, selon la CJUE, être considérés comme étant convenus de la juridiction désignée comme compétente dans le contrat de vente initial.

C’est ce principe dont la Première Chambre Civile de la Cour de cassation a fait application dans la décision commentée : le litige opposant l’assureur subrogé dans les droits du sous-acquéreur français, au fabricant italien qui n’en était pas le vendeur direct, relevait bien de la compétence du Tribunal de Grande Instance de Paris, en l’absence d’acceptation par le sous-acquéreur de la clause attributive de juridiction stipulée dans le contrat initial.

Avec ces deux décisions, les Hautes Juridictions française et communautaire ont ainsi précisé les limites du principe de primauté de la clause attributive de juridiction : celui-ci ne peut recevoir application que pour autant que la clause ait, non seulement, été valablement stipulée au regard de l’article 23 du Règlement Bruxelles 1, mais de surcroît, expressément acceptée par l’ensemble des parties au litige.

Pour qu’une clause attributive de juridiction insérée dans une chaîne communautaire de contrats de vente soit valablement opposable au sous-acquéreur, encore faut-il que celui-ci ait préalablement donné son consentement à cette clause. C’est ce qu’ont récemment souligné la Cour de Justice de l’Union Européenne et la Cour de cassation.

Stéphanie YAVORDIOS

Octobre 2013