La Cour de cassation a récemment confirmé que le titulaire d’une marque déjà commercialisée par lui-même ou avec son consentement au sein de l’Union Européenne ou de l’Espace Economique Européen, peut néanmoins s’opposer à une nouvelle commercialisation de ses produits s’il justifie d’un motif légitime. Au cas d’espèce, la Haute Juridiction a condamné pour contrefaçon un revendeur qui avait acquis des produits d’une marque de parfums et de cosmétiques de luxe, lors d’enchères publiques survenues à la suite de la mise en liquidation judiciaire d’un distributeur agréé par le titulaire de cette marque.
La Cour de cassation a, dans un arrêt du 24 mai 2011( Cass. Com., 24.05.2011, n°10-18.474 ), rappelé que le titulaire d’une marque peut, dès lors qu’il justifie d’un motif légitime, s’opposer à la commercialisation de ses produits sous sa marque, bien que ces derniers aient préalablement été commercialisés par le titulaire ou avec son consentement au sein de l’Union Européenne ou de l’Espace Economique Européen.
L’arrêt commenté donne ainsi une illustration de ce qui constitue une exception à la notion d’épuisement des droits du titulaire d’une marque au sens de l’article L. 713-4 alinéa 2 du Code de la Propriété Intellectuelle.
La notion d’épuisement des droits du titulaire d’une marque
L’article L. 713-4 alinéa 1 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que le titulaire d’une marque ne peut interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans l’Union Européenne ou dans l’Espace Economique Européen sous cette marque par lui-même ou avec son consentement. Il s’agit de la notion d’épuisement des droits du titulaire sur la marque.
L’exception à l’épuisement des droits
Cependant, l’alinéa 2 de l’article L. 713-4 vient nuancer la notion d’épuisement des droits en permettant au titulaire d’une marque, bien que ses produits aient déjà été commercialisées dans les conditions prévues par l’alinéa 1, de s’opposer à tout nouvel acte de commercialisation s’il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la modification ou à l’altération, ultérieurement intervenue, de l’état des produits.
Le rejet de la notion d’épuisement des droits au cas d’espèce
Dans la décision commentée, à la suite de la mise en liquidation judiciaire d’un distributeur agréé par le titulaire d’une marque de parfums et de cosmétiques de luxe, un stock des produits de cette marque avait été vendu aux enchères publiques sur autorisation du juge commissaire.
Poursuivi en contrefaçon par le titulaire de la marque en raison des conditions dans lesquelles il commercialisait le stock, l’acquéreur des produits litigieux a alors invoqué l’épuisement des droits du titulaire sur lesdits produits.
La Cour d’appel avait accueilli favorablement l’action en contrefaçon engagée par le titulaire à l’encontre du revendeur, après avoir relevé les éléments suivants :
- le titulaire de la marque avait clairement informé le liquidateur de son opposition à la vente par adjudication,
- le titulaire offrait de reprendre ses produits moyennant paiement d’une certaine somme,
- les produits litigieux étaient mis en vente et vendus par le revendeur dans une solderie, située dans une zone commerciale grand public, parmi de nombreux objets proposés en vrac, parfois encore dans leur carton de transport,
- et l’image de la marque avait été utilisée sur une affiche comme une marque d’appel.
La Cour d’appel avait ainsi considéré que les conditions d’exposition à la vente des produits en cause étaient incompatibles avec l’image de la marque.
Les juges du fond avait déduit de ces constatations que le titulaire de la marque justifiait d’un motif légitime l’autorisant à s’opposer à une nouvelle commercialisation de ses produits et à se prévaloir de l’absence d’épuisement du droit sur sa marque.
Les juges du fond avaient également relevé que l’ordonnance du juge commissaire ayant autorisé la vente par adjudication des produits, n’avait jamais été notifiée au titulaire de la marque, mais que ce dernier avait manifesté son opposition à la vente dès qu’il en avait eu connaissance, et avait offert de reprendre les produits aux conditions prévues au contrat de distribution sélective signé avec le distributeur agréé.
En conséquence, la Cour d’appel avait considéré que le titulaire de la marque n’avait pas consenti, même implicitement, à une nouvelle commercialisation des produits en cause.
La condamnation du revendeur pour contrefaçon avait donc été prononcée.
La Cour de cassation, considérant que les juges du fond avaient caractérisé l’existence d’un motif légitime du titulaire de la marque au sens de l’article L. 713-4 alinéa 2 du Code de Propriété Intellectuelle, a confirmé l’arrêt d’appel en ce qu’il avait rejeté l’épuisement des droits du titulaire de la marque sur les produits en cause invoqué par le revendeur, et avait condamné ce dernier pour contrefaçon.
Cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’une autre décision relativement similaire rendue l’an dernier par la Haute Juridiction en faveur du même titulaire. La Cour de cassation avait, en effet, déjà jugé que le titulaire disposait d’un motif légitime lui permettant de s’opposer à la commercialisation de ces produits sous sa marque, dès lors que cette commercialisation était réalisée après vente aux enchères, dans un contexte et des conditions d’exposition qui affectaient la valeur de la marque et ternissaient l’allure et l’image du prestige ( Cass. Com., 23.03.2010, n°09-65.839 ).
La nécessité de caractériser les actions en contrefaçon et en concurrence déloyale par des faits distincts
En revanche, dans la décision commentée, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel en ce qu’il avait également condamné le revendeur sur le fondement de la concurrence déloyale.
En effet, pour caractériser la concurrence déloyale, les juges du fond avaient considéré que le revendeur, en présentant les produits en cause comme dégriffés ou provenant de fins de série ou de sinistres, avait distribué des produits de grand luxe recouverts d’une marque de prestige particulièrement notoire, dans des conditions qui ne pouvaient que porter atteinte à l’image et au prestige de cette marque.
Les juges avaient également relevé que le revendeur avait entendu bénéficier de la notoriété de marque et des produits en cause pour attirer à lui des clients qu’il ne pouvait pourtant plus satisfaire.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel sur ce point, considérant que les juges du fond, pour retenir la concurrence déloyale, n’avaient pas caractérisé des faits distincts de ceux retenus pour justifier l’absence d’épuisement du droit sur la marque en cause et la condamnation du revendeur pour contrefaçon de cette marque.
La Haute Juridiction rappelle ainsi une jurisprudence constante selon laquelle la concurrence déloyale et la contrefaçon, si elles peuvent être invoquées simultanément dans une même affaire, doivent être impérativement caractérisées par des faits distincts ( Voir pour illustration Cass. Com., 16.12.2008, n°07-17.092 ; Cass. Com., 23.03.2010, n°09-65.839 ).